À l’occasion de la promotion d’Urban Peace 3, organisée par Skyrock, nous avons été sollicités pour interviewer certains artistes dont le Lyriciste Bantou. Retour sur son année du Geste, sur quelques paroles décodées par Prims lui-même, et en exclusivité ses futurs projets solo ainsi que ceux communs avec Médine et Kery James…
Youssoupha : (…) Votre site est instructif et pratique de dingue ! En 2009, quand L’effet papillon était sorti, on avait eu une idée sur mon site de l’époque youssoupha.com, on avait mis le texte intégral avec un espèce de rubriquage à la Rap Genius sur des passages. Comme c’était un texte très dense qui passait de Jean-Pierre Pernaut à Kémi Séba, de JoeyStarr à l’embrouille avec Nessbeal, on avait besoin de l’expliquer.
Rap Genius France : On t’a volé ton concept en fait !
Youssoupha : Ouais voilà exactement, j’attends toujours les royalties ! (rires)
RGF : Tu nous lances direct sur Kémi Seba, et ça tombe bien : on voulait te demander pourquoi avoir bippé son blase dans L’effet papillon ?
En fait, un enfermé qui s’évade
C’est rare comme Jean Pierre Pernaut qui donnerait la parole à Kemi Seba
Youssoupha : En fait, c’est une histoire assez simple : à l’époque, suite au fait que je l’avais mentionné dans mon morceau, le site officiel de son équipe avait mis en première page « Youssoupha est avec nous » etc… Et on les avait appelés pour leur dire qu’en fait, ce n’est pas exactement ça le propos. Le propos c’est plutôt que Kémi Séba et Jean-Pierre Pernaut, ce sont deux France vraiment opposées à l’extrême et c’était choquant de pouvoir les voir ensemble.
Je n’ai rien contre lui, mais jusqu’à aller dire que je faisais partie de leur groupe, ça c’était faux. Du coup, on a dit : « Non, non, il ne faut pas mettre ma photo comme ça parmi les gens qui font partie de votre groupe, parce que ce n’est pas vrai ! ». Et il y a quelqu’un de là-bas qui nous a appelés et qui nous a dits : « Retirez le nom alors ». L’un de mes potes lui a tout simplement expliqué : « On ne fait pas partie de votre groupe, mais le but n’est pas non plus de nous diviser pour autant ». On a donc retiré Kémi Séba du morceau et, après, on a été obligé de le retirer sur le disque. Bon, ça ne change rien, car en concert tout le monde sait bien de qui on parle.
Je le redis encore et c’est important : le but, c’est pas d’opposer des jeunes renois entre eux, puisque ça m’aurait fait chier qu’on me dise « Youssoupha, c’est l’anti-Kémi Séba ». Il fait un truc, on n’est peut-être pas d’accord sur tout, mais je comprends sa démarche ; de plus, c’est quelqu’un qui prend certains risques et qui a quelque part un mérite, mais il n’en reste pas moins qu’il y a des trucs sur lesquels on n’est pas d’accord. En fait, j’aimerais bien le rencontrer un jour pour discuter.
RGF : Continuons sur les problèmes d’interprétation, tant qu’on est dedans. Dans le morceau avec La Fouine Il se passe quelque chose, tu dis « régalez-vous avec le juice du boug sénégalais » : tu parles de toi ou de Booba ?
Youssoupha : Y’a eu beaucoup d’incompréhensions, on m’a beaucoup fait la remarque « ouais, tu parles d’un rappeur, d’un colocataire de La Fouine en Floride… ». Non, je suis sénégalais aussi, ma mère est sénégalaise, je m’en excuse (rires).
En effet, la réalité est beaucoup moins racoleuse et beaucoup moins croustillante : « régalez-vous avec le juice du boug sénégalais », c’est moi.
Si jamais je veux parler de Booba ou de Tunisiano ou de Laurent Bouneau (ndlr : directeur des programmes sur Skyrock), je dis leur nom. Généralement, je ne suis pas quelqu’un qui cache les choses : quand je veux parler de Nessbeal je parle de Nessbeal, quand je veux parler de Médine je parle de Médine.
RGF : Justement, il y a un autre truc qui a été mal compris : quand tu dis « Le meilleur rappeur de France a un cheveu sur la langue« , tu parles de toi ou d’Akhenaton ?
Youssoupha : Ça c’est pareil, c’est même pas pour rebondir sur le rebond, mais l’une des premières personnes qui m’a dit « Tu parles d’Akhenaton ! », c’est Laurent Bouneau ! Mais non. J’ai beaucoup de respect pour Chill avec qui j’ai fait un morceau, mais je parle de moi – ouais je suis un artiste prétentieux (rires).
RGF : On est là pour parler d’Urban Peace un petit peu. Tu es programmé à Urban Peace, ça va être ta plus grosse scène en France ?
Youssoupha : En France oui, mais j’ai déjà fait des concerts à l’étranger avec autant de monde. En Afrique notamment, et j’ai même fait une fois un concert en Europe de l’Est où il y avait 90.000 personnes, c’était un festival. Mais en France, ça va être mon premier show avec autant de monde, oui. C’est la première fois que je fais Urban Peace aussi.
RGF : Ça représente quelque chose, pour toi, Urban Peace ?
Youssoupha : C’est un gros festival de plus. Disons que j’ai la chance de faire Les Vieilles Charrues, Jazz Montreux Festival, c’est classe aussi. Je pourrais pas dire que ça, ça compte pas, et que Urban Peace, ça compte. C’est un gros festival et une grosse scène importante de plus, que je peux rajouter à mon palmarès avec tout ce qui m’est arrivé de bien depuis déjà un an. C’est la dinguerie qui continue, quoi : ce sera 70.000 personnes, le Stade de France, c’est un bête de truc. C’est pas un aboutissement mais c’est par contre un grand Geste.
RGF : Par rapport aux Victoires de la Musique, certains rappeurs ont réagi plutôt négativement au fait que ce soit Oxmo Puccino qui ait gagné. Ils disent que c’est toujours le rappeur sage qui gagne : est-ce que c’est ton avis ou est-ce que tu crois que c’est mérité ?
Youssoupha : Honnêtement, je pense que le fait que la Sexion d’Assaut n’ait pas remporté cette victoire-là, c’est du vol. Et ce n’est pas Oxmo qui décide, donc je ne vais pas lui tenir rigueur à lui. Pour moi, c’est clairement du vol et je dis ça en toute objectivité : je suis beaucoup plus proche d’Oxmo que de la Sexion. Je connais bien la Sexion, mais j’ai fait plus de choses artistiquement avec Oxmo, je le connais plus humainement. Clairement, des Victoires de la Musique comme ça, sans Sexion d’Assaut… Ce groupe est un phénomène extraordinaire quand même : ils vendent 750.000 albums, les gars remplissent des Halle Tony Garnier à Lyon, des Bercy à Paris…
Même dans la variété, sur la génération des quinze dernières années, il n’y en a pas beaucoup qui l’ont fait. Et là, ça, c’est juste vouloir mettre des œillères sur un phénomène qui brille devant nous. On aime ou on n’aime pas Sexion d’Assaut, mais c’était une année Sexion d’Assaut. Pourtant j’ai sorti mon album la même année qu’eux.
« Je pense que le fait que Sexion d’Assaut n’ait pas remporté cette victoire-là, c’est du vol. »
Après on peut dire « ouais, mais peut-être aussi que tu en veux aux Victoires par rapport à ta non-nomination ». Effectivement, j’ai trouvé que c’était une injustice aussi que je ne sois pas nominé. Mais malgré tout, Oxmo est un grand artiste, on ne le dira jamais assez. C’est lui qui conclut mon concert à l’Olympia, c’est un artiste hyper respectable, c’est une éminence de notre mouvement. Mais il en avait déjà remporté une, ça changeait pas grand chose s’il ne remportait pas cette deuxième, surtout qu’il a sorti un album qui est bien, auquel je participe, donc c’est pas que je crache dans la soupe. Un album qui est bien mais sans non plus être le point culminant de sa carrière, clairement. Moi, je ne trouve pas que Roi sans carrosse soit le meilleur album d’Oxmo Puccino, et c’est pas celui qui est resté le plus dans les mémoires. Du coup, je trouvais que L’Apogée de la Sexion d’Assaut méritait quand même une distinction. Et je trouve, moi, que c’est une certaine idée du rap qui réussit, qu’on veut nier le reste de ce qu’est le rap et je ne suis pas d’accord avec ça.
RGF : On va parler de « Noir Désir 2″. J’ai entendu parler d’un morceau qui sortirait, qui s’appellerait L’annonce : c’est vrai ?
Youssoupha : Mon prochain album ne s’appellera pas « Noir Désir 2″, c’est le volume 2 d’une trilogie que j’appelle « La Trilogie Noire » mais il ne s’appellera pas « Noir Désir 2″.
RGF : Ça va faire comme « Lucide » avec Disiz ? Ça va être « Noir autre chose » ?
Youssoupha (nous donnant raison) : Peut-être, ça sera peut-être « Noir autre chose », effectivement (rires). Ça va tourner autour de cette thématique-là. En fait, je suis en train d’imaginer un morceau qui s’appellerait « L’annonce » pour pouvoir annoncer ça justement, prochainement.
RGF : Pour annoncer la trilogie d’un coup ?
Youssoupha : Ouais, le concept, un petit peu comme les « Star Wars », c’est découvrir chaque volet. Là, c’est le deuxième volet d’une trilogie, « Noir Désir » était le premier volet, là il y aura un deuxième volet.
RGF : La trilogie, elle sera en album concept comme le premier album sur la négritude ou pas forcément ? On peut sentir une sorte de frustration de ne pas avoir sorti un album « Négritude » et de l’avoir sorti sous un autre nom.
Youssoupha : Honnêtement, je ne peux pas répondre à ta question (rires). Je ne peux pas répondre à ta question sinon je t’en dirais trop. Mais vous êtes bons les gars, vous êtes bons !
RGF : Il y aura une digitape comme « En attendant Noir Désir » ?
Youssoupha : C’est possible, ce n’est pas quelque chose que j’exclus. En tout cas, comme j’ai commencé à accumuler deux-trois morceaux – enfin beaucoup de morceaux – ils ne vont peut-être pas tous aller sur le prochain album, il y en aura peut-être qui vont sortir en teasing, c’est quelque chose auquel je suis en train de réfléchir.
RGF : Dans « Noir Désir », tu étais un peu plus serein, plus calme, peut-être plus adulte que dans les autres albums. Tu peux t’exprimer là-dessus un petit peu ?
Youssoupha : Moins énervé dans le ton d’expression, oui. Par contre, c’est quand même un album qui des fois est piquant : L’enfer c’est les autres, Menace de mort ou La vie est belle, ce ne sont pas les morceaux les plus tendres du monde non plus, tu vois. Mais il y a une certaine sérénité.
RGF : Tu es plus « Lyriciste Bantou », alors qu’avant tu étais plus « Intense Brailleur » ?
Youssoupha : Je suis assez d’accord avec ça, même exactement d’accord !
Le deuxième volume qui arrive, il va être plus dans le ton de « Noir Désir », c’est vraiment un album dans la continuité, et je pense que les trois albums vont former un tout. En gros, si vous avez aimé « Noir Désir », vous allez aimer le prochain.
RGF : Le fait que « Noir Désir » ait bien marché, ça a été un peu une consécration de ta carrière. Est-ce que tu penses que ça va changer, même malgré toi ? Les thèmes que tu vas développer seront-ils différents ou pas forcément ? Est-ce que tu penses qu’après cet album, tu vas encore plus changer ?
Youssoupha : A priori, le prochain album, il n’est pas encore bouclé donc je vais pas trop anticiper sur ça. Cependant, je sais juste que le changement humain entre « Sur les chemins du retour » et « Noir Désir » restera plus marquant qu’entre « Noir Désir » et le prochain volet, le volume 2. Quand « Noir Désir » est arrivé, j’ai été papa, je n’avais plus de maison de disque, j’ai du penser ma musique et l’économie de mon label d’une autre manière. Le rap français m’a déçu sur certains aspects, réjoui sur certains autres, j’ai découvert un peu plus mon public… Au prochain album, ce qui va être forcément marquant, c’est que mon train de vie a beaucoup changé par rapport au succès de l’album, et comme je suis quelqu’un qui est très lié à l’authenticité, mes disques ressemblent souvent à ce qu’est ma vie. Ça, je vais sûrement le raconter.
RGF : On va parler d’Hugo Chavez. Il est mort il y a pas longtemps. Il y a beaucoup de rappeurs qui ont réagi à ça, qu’est-ce que tu en penses ?
Youssoupha : En vrai, je n’en pense rien ! Souvent, j’ai remarqué que rappeurs, artistes ou personnalités en général, on s’oblige toujours à avoir un avis sur tout. Moi, tu sais pourquoi j’en pense rien ? C’est un peu comme la mort de Kadhafi, je n’en pense rien parce que en vrai Hugo Chavez, je le connaissais assez peu en fait. Il y en a qui en disent du bien, d’autres qui en disent du mal ; il y en a qui disent que c’était le père de la nation, d’une certaine idéologie de pensée, d’autres qui disent que c’était un sombre dirigeant qui écrasait son peuple. Pour trouver le juste milieu entre ces deux vérités, en vrai je suis perdu, donc j’en pense rien.
« En France, on aime tellement les cases que quand Médine il pète un coup, les gens disent : « Ouhhh Médine il pète ! Mais comment ça se fait qu’il puisse avoir des gaz !? »
RGF : À la fin de « La vie est belle », Kery James arrive et dit clairement « l’autre rap », et moi je n’ai pas ressenti dans tes textes que tu étais dans ces bails de séparation du rap. Au contraire. Comment ça s’est passé ? Comment tu peux laisser passer des discours qui ne s’accordent pas forcément au tien sur ton propre album ?
Youssoupha : Kery James est une éminence du rap conscient, on va le dire comme ça puisque lui-même le revendique. Il le porte, et le porte d’ailleurs bien. C’est peut-être pour ça que c’est l’un des meilleurs, ce n’est un secret pour personne que je suis sur son dernier album. Maintenant, moi, effectivement, je suis un peu plus libre par rapport à ça. Souvent quand on est en studio avec Médine et Kery, je me fous souvent de leurs gueules parce que j’ai remarqué… J’aimerais pas du tout être à leur place, parce qu’en France, on aime tellement les cases que quand Médine il pète un coup : « Ouhhh Médine il pète ! Mais comment ça se fait qu’il puisse avoir des gaz !? ». Kery James, il va rigoler, « Ohhh mais Kery il rigole d’une blague alors qu’il devrait être en train de prier ! ».
Ça va les gars… Laissez-les tranquilles. Et en fait, le truc c’est que par rapport à mon mode de vie, j’insiste sur ça, mais j’aime bien que mon rap ressemble à mon mode de vie. Effectivement, moi je suis un Musulman, qui vit en France, qui vient du Congo, qui a une mère sénégalaise, qui a une partie de sa famille qui est protestante, qui aime le rap…
Ce que je déteste par dessus tout, c’est les cases du rap français. Et en fait, là où je suis content, c’est que mine de rien, je vois pas beaucoup de gens qui ont la place que j’ai dans le rap français. C’est à dire que je suis le seul mec à arriver à aller à la Star Ac’ en posant sur l’album de Kery James, arriver à être chez Drucker tout en posant avec Shone de Ghetto Fabulous Gang, etc. Et bien ça, moi, je kiffe de dingue.
RGF : Justement, ça te dérange pas que Kery pose sur ton album et fasse une grosse stigmatisation ?
Youssoupha : Non, ça ne me dérange pas, parce que généralement les gens qui posent dans mon album ou dans mes projets, je leur donne leur liberté de ton. C’est comme quand dans mon album, Taipan dit « Repose en paix, colonel Kadhafi« . Il y a plein de gens qui me disaient : « Ouais mais c’est pas tolérable de dire ça ». Je réponds : « Mais il dit ce qu’il veut », j’ai été moi-même censuré.
Kery, lui, il est garant de ce rap conscient-là. Il trouve que moi, par certains de mes morceaux, je l’honore : tant mieux. Mais du coup, il y a des fois avec Kery, on n’est pas toujours d’accord, et notre morceau dans son album va montrer qu’on est vraiment, vraiment, vraiment pas d’accord. C’est rare des gens qui dans la même année posent avec La Fouine et Kery. Avec moi, ça paraît normal.
RGF : D’ailleurs, tu parles de Kery, et tout à l’heure tu as parlé de Medine aussi. Peux-tu nous parler de « La Ligue » (certaines rumeurs annoncent un album commun des trois sous ce pseudonyme, ndlr) ?
Youssoupha : Disons que ces derniers temps, on se fréquente beaucoup.
RGF : Peut-être un album en commun ?
Youssoupha (nous donnant raison) : Ça pourrait être une bonne idée ça, à voir (rires). Si je suis dispo, franchement, ouais !
RGF : Beaucoup de rappeurs font des feats US en ce moment, tu arrives à une étape de notoriété où tu peux te le permettre. Ça t’intéresse ?
Youssoupha : En feat US, ça fait des années que je rêve d’un feat avec Nas, et je vais me battre pour pouvoir l’avoir sur le prochain album.
RGF : Une dernière question qui ne te concerne même pas, ou peut-être que si. On aime beaucoup LFDV, et elle annonce un morceau avec 4 rappeurs : tu fais partie du truc ?
Youssoupha : … Ouais (rires).
RGF : Tu as d’autres infos ?
Youssoupha : C’est une dinguerie monstre, c’est peut-être l’une des combinaisons rap les plus fortes qu’on ait vue ces dernières années. Pour tout te dire, je te dirai pas le reste du casting mais par contre, il y a le clip qui va avec et c’est pas un petit clip. C’est vraiment une dinguerie, je suis vraiment content de ce truc-là, je suis pressé que les gens le voient. Beau casting, c’est lourd.
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